Comme elle avait aimé les concevoir avec son homme, les porter au creux d’elle-même, sentir leurs mouvements, leurs pirouettes, leurs personnalités si différentes déjà sous la peau de son ventre tendu.
A chaque fois, elle avait cru que cette peau ne pourrait pas se distendre suffisamment … Et pourtant, si … Quelle miracle !
Elle gardait au fond de son cœur, comme des perles d’éternité,
Elle se souvenait avec tendresse des nuits entières passées à les bercer, à soigner leurs rhumes, leur maux de ventres, …
Elle les aimait si fort.
Le grand avec sa crinière blonde et ses yeux bleus, comme son père.
La seconde qui avait hérité d’elle, ses boucles brunes et la noirceur profonde de son regard.
Le troisième qui n’avait pas choisi et avait réussi un très joli mélange des deux.
La quatrième qui semblait, elle, s’être modelée toute seule, tant on avait du mal à repérer des signes de ressemblance.
Quant au cinquième, tout jeune encore, elle était sûre d’une chose, il avait hérité de sa douceur à elle.
Elle les aimait tant qu’elle ne comptait pas, ni les nuits, ni les gâteaux, ni les heures passées à consoler leurs chagrins, à réparer leurs bêtises, …
Elle ne comptait pas mais elle ne comprenait pas …
Elle ne comprenait pas ce qui se passait.
Elle avait cru à chaque grossesse que le petit nouveau viendrait apporter l’équilibre dans la tribu. On lui avait dit que « trois, c’était pas un bon chiffre ».
La quatrième vint et rien ne changea.
Ils avaient attendu un peu, son homme et elle pour envisager une cinquième naissance, avaient hésité, puis, portés par l’espoir, ils l’avaient attendu.
Elle devait bien se rendre à l’évidence, la vie à sept était un enfer.
Elle avait beau être attentive à chacun d’eux, anticiper leurs envies, leurs besoins, faire en sorte qu’ils trouvent toujours, dans les armoires ou le frigo ce qui leur plairait pour le goûter, redoubler d’ingéniosité dans les remèdes à leurs bobos,
Ils rentraient de l’école et engloutissaient les pâtisseries prévues pour toute la semaine, jetaient leurs affaires n’importe où, abandonnaient leurs déchets sur la table et au sol, sans s’en préoccuper, exigeaient d’elle toujours plus, rendaient toujours moins.
Les câlins, les marques d’amour, il y avait longtemps qu’elle n’en recevait plus d’eux.
Elle avait bien tenté à plusieurs reprises de leur parler mais ils n’écoutaient pas.
Entre eux, c’était pire encore.
Une année, ils avaient chacun, pour leurs étrennes, reçu un hamster.
Elle avait pensé que cela les pacifieraient
Mais ce ne fut pas le cas. Les pauvres bêtes se retrouvèrent très vite au cœur même de leurs combats. Cela coûta la vie à deux d’entre eux.
La tristesse, l’impuissance, la colère, l’incompréhension avaient pris toute la place en elle.
Que devait-elle faire ? Les aimer moins ? Elle ne le pouvait pas.
Seul le plus petit l’avait senti, venant se blottir tout contre sa poitrine et essuyant les larmes qui roulaient sur ses joues. Il tentait bien, parfois, de toute sa douceur, d’attendrir les plus grands mais il ne faisait pas le poids.
Elle sentait qu’elle s’épuisait, que son corps, son cœur s’asséchaient.
Oh pas tant des heures passées, des tâches sans fin, … mais du manque d’amour, de bienveillance, de gratitude qui régnait dans leur maison.
Elle se disait parfois que « plus tard, ils comprendraient », quand ils auraient eux-mêmes des enfants, mais elle se demandait, combien de temps, elle tiendrait encore …
Je ne peux pas vous raconter la suite de l’histoire car elle se déroule en ce moment-même.
Cette femme, cette mère, c’est notre Terre-Mère.
Ces enfants, c’est nous.
Nous, les humains, enfants fous, brisant tout sur notre passage, crachant sur ce qui nous donne vie, en lutte permanente avec notre propre fratrie.
Nous qui avons perdu les yeux pour voir, le cœur pour ressentir, les oreilles pour entendre toute la bienveillance de nos parents de matière, la Terre, le Soleil, toute la bienveillance de la Vie qui fait que nous existons, que nous sommes portés, nourris, soignés, aimés, … ici, à chaque seconde.
Nous remercions Marine Simon